«Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.» Ces mots célèbres d’Albert Camus, auteur de la Peste et prix Nobel de littérature, résonnent évidemment avec plus de force encore, dans ce moment si particulier où nous comprenons que notre civilisation peut s’effondrer et notre monde basculer dans l’inconnu.
En quelques semaines, sous la pression de la pandémie, la moitié de l’humanité a été confinée. Les gouvernements n’ont eu d’autre choix que de mettre leur économie à l’arrêt pour éviter l’irréparable. Mais qu’en sera-t-il demain si nous ne parvenons pas à changer en profondeur notre façon de produire, de consommer et de répartir les richesses face au défi climatique ? Changer ou périr, c’est bien l’alternative qui se présente désormais à tous et à chacun.
En quelques jours nous sommes passés, par la force des choses, de la «mondialisation heureuse», slogan ambigu des élites libérales, à l’injonction «Restez chez vous !» : ultime supplique d’un gouvernement apeuré et dépassé.
Un bouleversement historique, peut-être même révolutionnaire
Après des décennies de néolibéralisme, les Etats ne sont plus en mesure de faire face à une telle crise. Les dogmes libéraux tombent, comme des dominos. Le libre-échange sans précaution des biens et des services ? Une folie qui nous place dans un état de dépendance mortelle quand 80 % de nos médicaments, de notre matériel médical et de nos équipements de protection dépendent des capacités et du bon vouloir de la Chine. Les cortèges de délocalisation vers les pays à «bas coût» ont mis notre économie dans l’incapacité de répondre aux besoins essentiels de la «guerre contre le virus», déclarée imprudemment sans armes ni généraux par un président de la République martial, mais impuissant. La poursuite de l’austérité budgétaire a mis nos services publics, notamment l’hôpital, dans une situation de tension extrême. Et si le système a tenu, nous le devons au seul dévouement des soignants.
La représentation libérale de la société se trouve mise «cul par-dessus tête». Les «premiers de cordée» s’avèrent peu utiles pour nous sortir de ce mauvais pas quand ceux qui «n’étaient rien» les anonymes, les invisibles, les fonctionnaires, portent le pays sur leurs épaules. Il sera difficile pour les gouvernants de ne pas en tirer les conséquences sociales et salariales sans que le pays gronde.
Alors, fin de partie pour le néolibéralisme et ses thuriféraires ? Rien n’est moins sûr. Ils s’emploient déjà à rattraper le terrain perdu et rien n’indique qu’ils ne parviendront pas à leurs fins comme ce fut le cas après la crise économique de 2008.
Cesser les guerres de chapelles
Rien n’est écrit. Pour qu’une issue progressiste émerge, encore faut-il que la gauche et les écologistes se donnent les moyens de leurs ambitions. Pour le moment divisés et inaudibles, ils restent spectateurs du match qui s’installe à nouveau entre nationalistes décomplexés et partisans au pouvoir du retour au «monde d’avant», rendu moins désirable encore par des mesures sécuritaires et liberticides. Notre responsabilité est, ici et maintenant, majeure et historique. Nous, élus locaux, serons les combattants unitaires inlassables du changement dans les luttes sociales et écologiques, comme dans les urnes, pour dépasser les vieilles querelles de chapelles.
Ce qui faisait nos nuances et nos divisions a été balayé. Personne ne se battra plus au nom du respect des règles budgétaires ou du libre-échange, personne ne niera plus l’urgence écologique, personne ne remettra en cause le rôle essentiel de nos services publics.
Il n’y a donc, sur le fond, plus de blocage à la construction d’un projet commun par la gauche et les écologistes pour nous hisser à la hauteur des bouleversements du monde. Nous devons ensemble prendre acte de la fin d’un modèle. Le consumérisme et le productivisme ne peuvent plus être l’horizon indépassable de nos sociétés. L’individualisme libertaire ne peut servir de boussole, dans un moment où la question de l’intérêt général et des biens communs est l’essence même de tout projet politique crédible.
Les seules préoccupations économiques ne peuvent nous occuper entièrement dès lors que nos concitoyens aspirent à plus de liens, d’humanité, de solidarité et de coopération. La gouvernance technocratique et partisane de nos démocraties doit céder le pas à l’envie d’engagement et de participation qu’expriment nos concitoyens. Le progrès doit être redéfini comme un progrès qualitatif et humain et plus seulement quantitatif et technique. Les libertés publiques et démocratiques mises à mal, y compris en France, doivent redevenir prioritaires. Les questions des inégalités, de la répartition des richesses et des pouvoirs doivent redevenir la préoccupation numéro une sans laquelle il est vain d’espérer trouver réponse aux autres sujets, notamment à celui de la crise écologique. C’est pourquoi, il faut que l’écologie s’inscrive sans hésitation ni ambiguïté, dans le camp de la gauche de transformation.
Pour une «Grande université populaire»
Pour se rassembler nous avons besoin d’une méthode et d’étapes. La méthode que je propose est la «Grande université populaire». Un temps pour échanger, débattre, frotter nos cerveaux aux temps nouveaux. Cette Grande université populaire ne doit exclure personne : à gauche, chez les écologistes, le mouvement social, les intellectuels, les artistes, les chercheurs, les ONG, les associations et les citoyens.
Nous devons proposer une solution à celles et ceux qui se battent pour faire émerger un monde nouveau. Cette énergie doit irriguer de toute sa force des structures politiques généralement vermoulues et dévitalisées. Ce projet, nous devrons dans un premier temps le porter ensemble pour les élections à venir, pour le rendre crédible et désirable. L’unité, il faut arrêter d’en parler, il faut la faire sans attendre.
Toute autre option conduira à la défaite en 2022. Le monde d’après ne peut être l’actuel en pire. Ne laissons pas aux seules directions partisanes cette responsabilité et sachons prendre les nôtres sans tarder.
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