martedì 24 luglio 2018

REAZIONARI E CONSERVATORI. STRAUCH-BONART, Pourquoi les réactionnaires se trompent, LE POINT, 24 ottobre 2016

Qu'y a-t-il de commun entre Donald Trump, le Front national et l'organisation État islamique ? Certains diront le « populisme », d'autres le « fascisme », mais ces qualificatifs sont aussi simplistes que limités. Mark Lilla, professeur d'humanités à Columbia, y discerne pour sa part un motif intellectuel commun, « l'esprit de réaction », dans un livre passionnant qui vient de paraître, The Shipwrecked Mind .

La réaction, pour Lilla, ne se résume pas à la réaction née en réponse à la Révolution française, celle des nobles et des penseurs réticents outrés par l'irruption des droits politiques et de la République. Elle désigne les politiques et les penseurs qui partout dans le monde, depuis la fin du XIXe siècle, estiment qu'à un certain moment donné, leur pays ou leur société a fait fausse route. Que ce soit dans le domaine économique, dans celui des mœurs, ou dans l'éducation, il y a eu un tournant regrettable, et il peut être très facilement identifié.


Lilla s'intéresse essentiellement aux penseurs, comme Éric Voegelin ou Leo Strauss, et plus récemment Éric Zemmour – même s'il précise que celui-ci est « moins un journaliste ou un penseur qu'un médium par lequel les passions politiques du moment passent et prennent forme ». Analytique et jamais condescendant, Lilla procède à une description intellectuelle et morale de l'esprit réactionnaire. Il veut nous faire comprendre que la réaction n'est pas une façade, un jeu ou une provocation, mais que ses représentants sont sincères. Ainsi, Leo Strauss voyait dans Machiavel le début du déclin de la politique moderne, quand la pensée grecque et la théorie des droits naturels furent remplacées par le rationalisme et le relativisme. Éric Zemmour, de son côté, regrette amèrement de Gaulle et les années 60, où le libéralisme économique aussi bien que moral, anglophone bien entendu, était encore tenu à distance.

Peu efficace

De fait, l'interprétation de Lilla permet de mieux comprendre le réactionnaire politique de notre temps. Le mauvais tournant, pour le réactionnaire, est souvent global voire total : point ici d'erreur ponctuelle, mais un vaste écroulement politique, économique et moral. Ainsi pour Trump, l'Amérique connaîtrait un déclin économique et géopolitique – c'est le pendant de son slogan « Make America great again » (« Rendre sa grandeur à l'Amérique »). Le Front national rêve d'un retour à une France protectionniste et étatique – une France d'ailleurs quelque peu fantasmée. L'organisation État islamique de son côté veut le retour du califat des Abbassides, âge d'or perdu. L'esprit réactionnaire peut d'ailleurs éclore dans des lieux inattendus : François Hollande, dans sa campagne de 2012, n'était-il pas obnubilé par le « redressement » de la France ?
Bien sûr, le sentiment de déclin peut se fonder sur une réalité. Les États-Unis connaissent depuis la crise une baisse de leur niveau de vie, et leur puissance géopolitique n'est plus ce qu'elle était. Mais y voir un déclin total dont la cause est unique et précise est bien autre chose. C'est pourquoi Lilla considère le réactionnaire comme l'image inversée du révolutionnaire, qui pense de son côté qu'à partir d'un point donné, la Révolution, tout ira mieux. Quand le révolutionnaire déclare « Faisons du passé table rase ! », le réactionnaire répond : « Faisons du passé, entre telle et telle date, table rase ! »
D'où l'amour des uns comme des autres pour l'action politique, voire l'action violente, seul moyen de combattre un « système » vicié et de contraindre le commun des mortels à adopter leur vision. Cela n'empêche pas le réactionnaire, d'ailleurs, d'utiliser les moyens les plus modernes pour y parvenir, sans qu'il y voie d'ailleurs la moindre contradiction. En définitive, les réactionnaires sont assez peu utiles et efficaces. Ils prennent rarement le pouvoir, et quand c'est le cas, ils se rendent compte que beaucoup des changements qu'ils abhorrent échappent largement au domaine politique – à moins d'abolir la société civile, ce qui est aussi dogmatique que dangereux.

À ne pas confondre avec le conservateur

On comprend dès lors en quoi le réactionnaire diffère du conservateur. Pour celui-ci, certains aspects du passé sont préférables à la situation présente, mais en aucune façon tout le passé. Et quand un conservateur estime que ses valeurs sont bafouées, il se refuse généralement à incriminer une époque ou un autre courant en bloc, car il sait qu'une époque est toujours complexe, faite de rapports de force et de déterminants variés. Par exemple, il n'y a aucun sens, pour un conservateur, à prétendre que tout est gâché « à cause de Mai 68 ». Car Mai 68 n'est pas une cause, mais un événement venu cristalliser la confrontation entre des progressistes épris d'émancipation et une société bourgeoise. Être en désaccord avec les idées et les buts de ces progressistes, même 40 ans après, est une chose ; estimer qu'il suffit aujourd'hui de les déraciner, comme s'ils existaient indépendamment de nous, pour retrouver un état antérieur idéalisé, en est une autre – irréaliste et simpliste, car le temps présent porte toujours le passé en héritage, même un passé qu'on déteste.
D'où le projet, pour le conservateur, d'une nécessaire distinction entre ce qui mérite d'être conservé et ce qui ne le mérite pas. Mais cette conservation est dynamique, et suppose une adaptation au temps présent de ce que l'on conserve. Pour le réactionnaire, le présent est comme pourri ; pour le conservateur, le présent est magnifié par ce passé conservé et par la connaissance des grands faits et des grands penseurs qui nous ont précédés.
En grande partie donc, les réactionnaires discréditent les conservateurs, en discréditant la critique légitime et véritable de ce qui a réellement échoué. En disant : « C'était mieux avant ! », ils s'exposent à une réponse sans appel et tout aussi absurde des progressistes et des révolutionnaires : « Non, rien n'était mieux avant ! » Or, comme souvent, la vérité est quelque part entre les deux.
"The Shipwrecked Mind", de Mark Lilla, Paperback, 168 pages (Non-traduit).

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